Perdue au point de rendez-vous
Qui, dans une gare, se place sous le panneau du point de rendez-vous, pourtant impossible à rater avec ses flèches blanches sur fond bleu? Pas la jeune fille en veste en jean ultracourte qui se tient un peu à l’écart, en tout cas. Elle n’a visiblement pas envie d’être vue plantée là. On ne l’en observe pourtant que davantage: l’attente angoissée, l’embarras, l’impatience. Un premier rendez-vous, peut-être ? Elle vérifie rapidement son maquillage, la fonction selfie de son portable faisant office de miroir de poche.
Retraités, randonneurs, hommes et femmes d’affaires, tout le monde se retrouve ici. L’une tire nerveusement sur sa cigarette, l’autre regarde sans arrêt sa montre: il ne voit pas l’horloge surdimensionnée du point de rendez-vous. Normal, il est juste dessous. Embrassades, poignées de mains. La plupart de ceux qui sont là semblent peu sûrs d’eux, ils viennent sans doute d’ailleurs, les gens du coin auraient convenu d’un lieu plus discret. Une vieille dame regarde anxieusement autour d’elle.
Je m’assieds à la table d’un café proche et cherche à deviner qui va avec qui pour passer le temps. Voyons un peu: qui le nerd à lunettes d’écailles et sweat à capuche qui a une tête à passer ses nuits devant son ordinateur à grignoter des chips peut-il retrouver? Quand même pas la minuscule Japonaise? Je n’aurais pas parié là-dessus. Ah là, une mère retrouve sa fille, ça se sent à leur intimité. Une dame aux cheveux frisés patiente depuis un moment, radieuse et énamourée, et quand il arrive enfin, ils oublient tout ce qui les entoure. Ils s’embrassent et s’étreignent pendant une éternité, avec une passion digne de Hollywood qui ne peut qu’émouvoir. Même si on ne les connaît pas.
La jeune fille à la veste en jean, presque une enfant encore, se tient toujours à l’écart, près des poubelles, et examine une fois de plus son maquillage. Elle semble de plus en plus désespérée, abandonnée. Depuis combien de temps attend-elle?
Lui aussi se tient à l’écart, mais de l’autre côté. Hors de sa vue. Un skateboard sous le bras, les cheveux longs relevés en chignon, il sautille d’une jambe sur l’autre. Sort discrètement un flacon et prend encore une gorgée de bain de bouche. Mais qu’en faire? Le recracher serait embarrassant. Il est évident qu’ils s’attendent l’un l’autre. Ils sont les seuls à ne pas encore s’être repérés. Ah si, ça y est! Elle vient de l’apercevoir, se précipite à sa rencontre. Et lui, la bouche apparemment toujours pleine, se retrouve brusquement en face d’elle.
Je crois bien qu’il avale son gargarisme. Puis l’embrasse maladroitement et fugitivement sur la joue.
Bänz Friedli
L’auteur et artiste de cabaret Bänz Friedli (52 ans) est actuellement en tournée avec son spectacle «Ke Witz! Bänz Friedli gewinnt Zeit» (Sans blague! Bänz Friedli gagne du temps).
Ambiance méditerranéenne, décor alpin : chaque samedi, le marché attire de nombreux visiteurs à Domodossola. La Piazza Mercato retentit d’exclamations en suisse allemand, français et italien, on marchande, on négocie… Mais la bourgade sur la liaison entre Brigue et Milan a bien plus à offrir que son marché.